146                MEMOIRES DE PIERRE DE L'ESTOILE.
aller à Senlis, il advisa tout plain de pauvres gens que ses soldats tenoient et tourmentoient, pour ce que, contre les défenses de Sa Majesté, ils ne laissoient de porter des vivres à Paris; lesquels le Roy aiant fait lascher et rendre tout ce que ses soldats avoient pris, leur dit seulement : «Mes amis, Dieu vous commande « d'obéir à vostre Roy, et le reconnoistre; et toutefois « vous n'en faites rien. Cela est cause de tant de maux « que vous avez. Mais craingnés Dieu et honnorés « vostre Roy : et Dieu aura pitié de vous, aiant esgard « à vostre pauvreté. Je vous pardonne tout; mais n'i « retournés plus. Hé, sire, dirent ces pauvres gens, « Dieu vous doint bonne vie et longue! Nous mourons « de faim : c'est ce qui nous fait faire ce que nous face sons. » Alors le Roy fouillant en sa pochette leur jetta ce qu'il avoit dedans ( et y avoit quelques escus et tes­tons), disant ces mots : «Allés, priés Dieu pour le « Bearnois. S'il vous pouvoit mieux faire, il le feroit. »
Le dimanche si 8 du present mois d'avril, la flotte de - Meaux et de Chasteauthierri conduisante à Paris jus­ques à quatorze cens muis de bled en cent quinze basteaus, fut arrestée et prise par les gens du Roy, fors et excepté le tiers, qui fut sauvé dans les bari-quelles et autres vaisseaus legers qui avoient gaingné le devant. Le lendemain les Espagnols sortirent, qui en ramenerent encores, mais peu.
Ledit jour de dimanche 28 avril, apparust sur le surpelis du curé Saint Benoist à Paris, estant en une assemblée qui se faisoit en sa paroisse pour élire des marguilliers, une croix rouge jaunastre. Fut rapporté qu'aiant deux fois changé de surpelis, à toutes les deux fois les croix estoient aparues sur ses surpelis.
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